Au travail, en cette période de confinement, les caissières sont en première ligne. Chantale, employée caissière depuis de nombreuses années pour une grande enseigne française en Occitanie, témoigne des mesures prises par la direction dès les premières heures de l’annonce du confinement. Elle est représentante syndicale et élue au CSEE, nouveau comité d’entreprise prévu par la loi travail, qui a fait fusionner le CE, les délégués du personnel et le CHST en une entité avec tous les risques pour la défense des travailleurs que cela comporte.
Pourquoi avez-vous eu l’envie de témoigner aujourd’hui ?
En partie parce que nos conditions de travail sont difficiles. On en a pas l’air mais on tracte du poids, on est mal payé et là avec le coronavirus on est en première ligne. Même si après plus d’un mois de confinement on a des gants, des masques, des lunettes, une plaque de plexiglass pour séparer la clientèle, et la prise de température le matin, au début comme beaucoup nous n’avions rien pour nous protéger.
Au début quelles mesures ont-elles été prises par la direction ?
On a toujours eu du gel hydroalcoolique, sur les dépenses notre directeur est plutôt à l’écoute. Ils ont mis en place le comptage de la clientèle devant le magasin, le marquage au sol pour respecter les distances de sécurité entre les clients. Après au niveau des masques cela a été la pénurie donc même s’ils étaient commandés ils ont mis du temps à arriver fin mars.
Pour nous il a été question de nettoyer régulièrement nos caisses, la machine à carte bleue toutes les 3 heures. Et on a eu tout de suite une note nationale de la direction qui disait qu’il ne fallait pas s’exprimer devant la presse sur nos conditions de travail durant la période du corona virus sous peine de poursuites, sans rentrer dans les détails, mais qui nous fait comprendre que cela entre dans le cadre de lois sur le secret professionnel.
Vous trouvez cela normal ? L’avez-vous signalé au syndicat ?
Non ce n’est pas normal. Le syndicat est au courant mais pour l’instant il négocie la prime de 1000€ et la compensation de la perte de salaire pour ceux qui sont en chômage partiel.
Qu’est ce qui est pesant aujourd’hui ?
La clientèle ne respecte pas les distances et met en danger les employés. Certains viennent faire des courses 3 fois dans la journée. On croit rêver.
La direction a pris des mesures supplémentaires par rapport à cela ?
Non pas par rapport à la clientèle. Au début du confinement, les mesures ont mis du temps à venir puis ensuite dans les locaux sociaux, on a reçu des notes afin de respecter les gestes barrières et après le début du confinement est venue l’obligation de porter des gants, un masque et les lunettes de protection, et la prise de température tous les matins depuis un mois. Ils ont aussi réduit l’amplitude horaire du magasin en fermant une heure avant. Vu que nous sommes indispensables, je ne vois pas ce qu’ils pourraient faire de plus pour nous mettre en sécurité à part fermer mais c’est impossible.
Et bien sûr nous attendons la fameuse prime de 1000 euros que Macron a annoncé pour nous mais nous ne savons pas si notre enseigne va le faire, ni le montant, on est dans le flou et certains échos parle de l’après été, ce qui est loin.
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour les employés ?
C’est être en contact avec le public en permanence. La peur d’être contaminée.
Y a t-il des problématiques qui touchent particulièrement les femmes au sein de votre entreprise ?
Oui, des clients nous prennent parfois de haut, nous qui sommes assises, des hommes qui vous demandent de sourire. Il faut leur faire un sourire. C’est l’âge de pierre, ils ont des réactions machistes. Il est possible d’entendre « et pour le sourire il faut que je paye » alors qu’ils ont une façon de nous aborder qui ne donne pas envie de sourire justement. Par rapport à cela et de manière générale par rapport au comportement de la clientèle rien n’est fait par la direction.
Il y a un travail qui est fait par nos syndicats par rapport aux inégalités entre hommes et femmes au sein de notre enseigne mais rien par rapport à la clientèle.
Nous sommes une majorité de femmes, il y a une égalité de salaire au niveau des caissières et caissiers. Les discriminations par contre existent au niveau de l’appartenance syndicale.
Pourquoi vous avez pris des responsabilités au niveau du syndicat de votre entreprise ?
Si on ne se défend pas on a rien. Et à la base on a déjà rien alors si on ne se défend pas on aura encore moins que rien, c’est pas la peine de continuer. Les conditions de travail sont difficiles et le salaire est bas. Il y a beaucoup de temps partiel, pratiquement plus de temps plein, on a des horaires décalés. Ni reconnaissance salariale, ni reconnaissance tout court. Et ils n’embauchent pratiquement plus car sur les mi-temps ils ont des allégements de charges patronales. Avec cette crise les gens prennent conscience que nous sommes indispensables comme ceux aussi qui nettoient la voirie et qui sont payés au lance pierre. Mais la tendance est toujours : on nous demande toujours plus avec le même de salaire.
C’est une société individualiste donc entre salariés il n’y a plus de solidarité, c’est du chacun pour soi alors qu’avant le salaire n’était pas mieux mais il y avait plus de respect et d’humanité entre collègues. Au niveau de l’employeur, les directeurs changent tous les 3 ou 4 ans donc cela dépend sur qui on tombe. S’il y a un problème ou des abus, on le signale à l’inspection du travail et la médecine du travail. C’est déjà arrivé il y a quelques années. Le directeur nous parlait mal, il n’y avait pas de respect, il était jeune et du coup il n’est pas resté. C’était sa façon d’interagir et de manager par le stress même avec des hommes, il les rabaissaient autant que les femmes.
Comment vous sentez-vous perçue par la société ?
Je pense qu’avant le covid, la société ne nous voyait pas du tout. Là il semblerait que la population prenne conscience que grâce à nous, ils peuvent continuer à se nourrir c’est indispensable, que nous faisons donc partie des métiers essentiels et que le pays tourne grâce à ces petits métiers. Je dis petits métiers car en général pour la population, nous sommes des petites gens. La société nous voit comme des personnes qui avons arrêté l’école en 5ème, hors ce n’est pas le cas pour tous! En effet je travaille avec des collègues qui ont bac + 2 ce qui est mon cas, voire bac +3 , qui ont une vie sociale et culturelle bien remplie. Seulement ils n’ont pas eu le petit coup de pouce ou les connaissances pour avoir un emploi plus reconnu. En bref ce sont les préjugés les plus répandus sur les salariés qui occupent ces postes. J’espère que cette pandémie fera changer les mentalités, je pense qu’on aura l’occasion d’en reparler.
Est-ce que le contexte actuel va changer vos conditions de travail ?
Non je ne pense pas que cela va changer quelque chose pour nous. Oui pour le secteur hospitalier car Macron ne pourra pas faire autrement mais pour nous non. C’est le sentiment que j’ai, je ne pense pas qu’ils revaloriseront nos salaires.
Certaines revendications vont remonter de notre fédération jusqu’au comité central syndical de notre enseigne, composé de plusieurs syndicats, dont la prime annoncée car on ne voit rien venir, ni sur le montant, ni sur la date, ce n’est pas sérieux. On se demande si on va y avoir droit car ce n’est pas une obligation pour les entreprises de le faire seulement une recommandation du président de la république. Et pour notre enseigne il y a plein de choses qui rentrent en compte, il y a des actionnaires au milieu, franchement on ne sait pas donc on va le revendiquer. Mais aujourd’hui ce qui nous préoccupe le plus c’est la peur de ramener le virus à la maison et de tomber gravement malade.